Cela faisait plusieurs minutes déjà qu’il avait remarqué ce vieil homme, planté au milieu de la rue, le regard fuyant. Aussi, le commerçant n’avait pas jugé nécessaire de lever les yeux pour saluer, même brièvement, l'entrée de l'étranger dans la petite échoppe.
Un dérangé, ce type là, se dit-il. Cette pensée lui fit hausser un sourcil. Puis il continua à se balancer tranquillement sur sa chaise, les pieds sur le comptoir, en se rassurant : malgré les quelques affaires de meurtres quotidiennes, le quartier était plutôt tranquille.
L’étranger était couvert d’une lourde cape et s'appuyait sur un long bâton. Sa très longue barbe semblait soignée. Il marchait vers le comptoir, d'une démarche atypique : avançant le pied droit, il frappait légèrement deux coups de son bâton sur le sol. Pour le pied gauche, un autre coup de bâton. L’ensemble était assez rythmé. Et calculé pour être suffisamment agaçant pour sortir le jeune épicier de sa féconde méditation.
Puis faisant mine de regarder son poignet, comme si la montre à bracelet existait déjà en ces temps d’obscurantisme :
L’homme s’était planté juste devant l’étal de légumes. Il caressa un instant son bâton, puis il lança, avec verve :